ou l'Art de s'emmêler les pinceaux entre Atelier et Vie de famille
1 Mars 2021
Oui, j'en ai marre de ça AUSSI. Cette propension que notre société actuelle a, et encore plus depuis le confinement, à revendiquer non plus le droit à, mais le devoir à être heureux, quoi qu'il en coûte, quoi qu'il en soit.
Vous aussi vous avez remarqué ? Bon je n'ai pas non plus inventé l'eau chaude sur ce coup là, j'en ai bien conscience. Mais je revendique haut et fort le droit au pessimisme et à la déprime depuis suffisamment longtemps pour adhérer à 200 % à l'offensive contre la dictature du bonheur.
Parce qu'il est très difficile d'échapper à ce mouvement voire même impossible : il FAUT être positif, il FAUT être heureux, en toutes circonstances, à tout moment, tout le temps.
Vous n'avez pas envie ? Oooooh mais c'est pô bien du tout, ça, ma p'tite dame, faut y remédier et à n'importe quel tarif d'ailleurs. Soit en prenant des vitamines, soit en changeant de régime, voiture, boulot, canapé, mari (rayez les mentions inutiles...), soit en payant une blinde pour avoir un "coach perso" qui vous rééduquera les neurones aussi sûr qu'il vous lessivera votre porte feuille.
Le phénomène est il nouveau ou pas, la question n'est pas là, mais depuis quelques années, on en parle déjà plus ouvertement et on lui a même donné un nom : ça s'appelle l'Happycratie, autrement dit, le pouvoir par l'injonction au bonheur.
L'article en question est très sérieusement publié par le journal "Le Monde" mais malheureusement, il faut être abonné(e) pour lire la totalité du texte. Cependant les premières lignes sont déjà édifiantes. Je n'ai pas fait d'études universitaires, encore moins des études de psychologie, mais je suis assez intelligente pour percevoir tout ça depuis le fond de ma petite vie. Et franchement, ça ne me plait pas, mais alors pas du tout, que la société toute entière vienne me dire que, pour être heureuse, je dois me forcer à faire du sport - du yoga - de la méditation - de la plongée sous marine - des enfants - la cuisine - manger vegan - rayez les mentions inutiles (encore une fois !).
Moi, je revendique le droit d'avoir mal, d'avoir peur, d'avoir pas envie, d'avoir envie quand je veux, et pas sur commande, le droit d'aller mal, d'avoir besoin de pleurer, de manger du chocolat ou de boire du thé quand ça va vraiment très mal, ou encore, de claquer ma porte au nez de tous ces donneurs de leçons.
Je me demande d'ailleurs souvent pourquoi ces gens là tiennent tellement à ce que l'on aille bien ou mieux, et que l'on garde sur les lèvres un sourire béa de bien être débile sans regarder vraiment ce qu'il se passe autour de nous.
Pour mieux nous faire les poches, ou quoi ?
Sans parler des néo-spiritueux (nan, je parle pas d'une liqueur révolutionnaire à base de fruits, parce qu'il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Ah, ça aussi ça m'énerve !!!!) qui eux prétendent que, si le monde va mal, c'est parce qu'on pense mal, et que si on pense bien, et bien le monde ira bien. Simpliste, non ? Limite infantilisant, mais bon, c'est mon avis et je le partage déjà avec moi même, c'est pas si mal, si on doit voter pour ou contre !
Et surtout, ce qui m'énerve encore plus, c'est que, à la base, le mouvement était sincère et voulait vraiment changer les choses ! Si j'ai bien tout pigé, ce sont des psychologues qui, atterrés par la tournure que prenait la psychologie, à voir le mal partout (on était forcément affligé des pires pathologies psychiatriques si on consultait l'un de ces médecins !) ont souhaité apporter un peu plus de "positif" dans la vie de leurs patients.
Résultat, comme d'habitude quand on confie une grande idée aux humains, quelques décennies plus tard, le mouvement est devenu un vaste business qui remplit des salles entières et des rayonnages kilométriques dans les librairies au rayon "bien être et coaching de vie" !
Au secours, quoi.
D'une belle idée à la base, on en est arrivé à un dictat : si tout le monde PEUT être heureux, alors tout le monde DOIT être heureux, puisque c'est aussi simple que ça. Rajoutez à cela le fait que la plupart des êtres humains sont égoïstement tournés vers leur nombril et ne souhaitent pas entendre les malheurs des autres, on finit vite par se retrouver dans la situation inverse où, au lieu de compatir, on rejette l'autre et ses problèmes et on lui assène avec un grand sourire : "tu as tout pour être heureux, arrête de geindre et sois heureux !".
Et surtout, en sous entendu, que tu disparaisses de mon champ de vision, parce que tu vois, là, tu me fatigue, et j'ai pas envie de m'étendre sur tes problèmes, je suis pas une poubelle ni assistante sociale.
Là où ça devient comique (au sens ironique du mot), c'est lorsque les assistantes sociales en question et tous les professionnels du genre reprennent à leur compte la ritournelle en vous disant à leur tour : "vous avez tout pour être heureux, franchement je vois pas ce que je peux faire de plus pour vous, c'est à vous de vous sortir de là, et si vous n'y parvenez pas, c'est que vous n'êtes finalement pas très doué !". Faire des études pour apprendre à dire aux autres "vous avez en vous les capacités pour vous en sortir seul", j'avoue, j'y avais pas pensé...
Et pourtant, j'ai été confrontée au problème puisque, lorsque j'ai fais mes premières crises de vertige, un ORL m'a dit que je devais avant tout "me secouer" et me "sortir de ce qui ressemblait un peu à de la dépression". Alors que c'est mon oreille interne qui me fait des misères... plus que limite d'ailleurs, quand on sait que la dépression est une VRAIE maladie et qu'on ne doit pas dire n'importe quoi aux personnes qui en souffrent.
Parce que, se retrouver seul(e) face à l'obligation d'être heureux, ça ne viendrait pas à l'esprit de qui que ce soit que ça peut être sacrément flippant quand on ne sait pas trop comment s'y prendre...
Alors peut être attendons nous un peu trop de notre société qu'elle nous aide à trouver notre propre voie du bonheur, peut être. Mais nous sommes, paraît il, des êtres sociaux, qui avons besoin des autres et donc de la société pour nous construire et trouver notre voie. Alors pourquoi à aujourd'hui, la société ne veut plus remplir son rôle, et nous envoie balader, comme si les individus qui ne parvenaient pas à être heureux "par leur propre moyen" représentaient une menace pour la société toute entière ?
L'idée, c'est que l'on se retrouve définitivement seul responsable de notre propre bonheur, ou du moins, de notre capacité à trouver le chemin tout seul. Ou en s'aidant grâce à des plus malins que nous à coup de biftons et d'euros bien investis !
Le droit au bonheur, et le bonheur qui en découle, est devenu une marchandise à part entière dans notre société qui ne veut qu'une chose : que l'on consomme ! Sauf que, est ce que le niveau de consommation de ces "produits" reflète vraiment le degré de "béatitude" atteint par ces mêmes consommateurs ? Je veux dire par là : le résultat est il vraiment à la hauteur de nos espérances (et de nos dépenses, surtout ) ?
J'ai des doutes à ce sujet.
Je n'ose pas penser aux personnes qui sont vraiment malades de dépression, ou aux personnes plus fragiles qui tombent dans la drogue, l'alcool ou toute autre forme de dépendance, et que notre société vient encore plus stigmatisées ne leur envoyant clairement à la figure leur incapacité à se "fondre dans la masse", à "être comme tout le monde", et forcément "heureux comme un poisson dans l'eau".
Moi je dis : "j'aime l'eau mais je suis pas un poisson !" et si certains jours, je ne suis pas heureuse, j'en ai le droit, et je revendique mon droit à l'errance et à la dépression, je revendique le droit à mon incapacité de trouver ce qui ferait de moi "la femme la plus heureuse du monde", comme si d'ailleurs, ce titre, je me devais absolument de le remporter...
Je ne sais pas ce que me réserve mon avenir et mon passé ne me plaît pas plus que ça. Je suis parfois dans une espèce d'attente qui déprimerait la plupart de mes contemporains, et qui leur permet de me juger comme étant "hermétique au bonheur" mais je préfère ma petite vie, parce que moi, ce que je vois d'eux, c'est leur incapacité finalement à être libres, à se détacher de tout ça, à vouloir à tout prix rentrer dans un moule qui fera d'eux la copie conforme du voisin, lisse et sans aspérité, pour trouver leur place au sein d'un système où, finalement, personne ne décide vraiment de ce qu'il veut être.
Il suffit de se laisser porter par la mouvance sociétale... et d'acheter le dernier livre à la mode, celui qui figure en tête de gondole dans les librairies spécialisées et qui vous dira tout tout tout ce qu'il faut savoir pour être dans "la bonne équipe".
Moi, je préfère la solitude aux équipes, je n'ai jamais été très douée pour "jouer" avec les autres, je vais poursuivre mon petit chemin, celui qui, bien souvent, me fait rager ou bien pleurer, c'est selon, mais qui me mènera, j'en suis certaine, là où je dois être, le bonheur ou le malheur n'étant au mieux que l'un ou l'autre facette de cette vie ici bas, et dont j'espère tirer le plus d'enseignements possibles.
Et je préfère garder mes sous pour moi ! (et pour acheter du thé... en cas de déprime...)
Amicalement,
Isa
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